La maison dite aujourd’hui "Le Moutier" date du 17ème siècle. À ce titre, elle est la plus ancienne maison de L’Haÿ-les-Roses.
Guillaume de Montholon, magistrat au Parlement de Paris, fait construire cette maison en 1658, à l’aube du grand règne de Louis XIV (1661-1715). Comme tous les autres membres de la noblesse de robe, il veut affirmer sa réussite sociale et sa notabilité face à la vieille noblesse d’épée, méprisante vis-à-vis des parvenus issus de la riche bourgeoisie. Engagée au service de l’Etat, via l’administration et non l’armée, la noblesse de robe représente alors une catégorie sociale montante. Guillaume de Montholon obtient, comme beaucoup de ses confrères, le titre honorifique de « conseiller du roi ». Sa maison de L’Haÿ est le symbole de son ascension sociale.
De style classique avec des lignes droites, une recherche de la sobriété et de l’harmonie, elle correspond tout à fait au style Louis XIV. Outre les deux bâtiments d’aile et la chapelle, la propriété comprend de beaux jardins descendant en terrasse jusqu’à la Bièvre et traversés par l’aqueduc Médicis, d’où son nom « La Source ».
— Au 18ème siècle, la maison passe entre les mains de plusieurs propriétaires, notamment issus de la noblesse d’épée, comme Louis de Pruntoux en 1709 ou Louis Jorel de la Louaisière. Pour eux, il s’agit d’acquérir une « folie », maison de campagne où l’on peut recevoir ses proches dans l’intimité, la simplicité et la convivialité, loin de l’agitation et la pollution des grandes villes.
— Au 19ème siècle, une famille marque de son nom l’histoire de la propriété : les Hache. Norbert Hache (1810-1900), médecin installé à Paris avec les siens, achète « La Source » en 1862. En 1865, il décide de cesser ses activités médicales et de résider définitivement à L’Haÿ, petite ville à laquelle il va désormais se consacrer. En effet, il y exerce la fonction de Maire pendant 11 ans (1865-1876). C’est là, dans sa belle demeure de L’Haÿ, qu’il invite le célèbre peintre Ingres (+1867), beau-frère de son épouse Mathilde. L’artiste joue au billard avec le Maire et dresse des portraits de ses hôtes.
En 1870, alors que M. Hache est sur tous les fronts pour sauver sa commune et sa population de l’invasion prussienne, la maison « La Source » est endommagée par les tirs et pillages des soldats allemands. Un des portraits réalisé par Ingres est, dit-on, volé et emporté par l’un d’eux… loin de L’Haÿ !
À l’aube du 20ème siècle, une autre grande famille prend possession des lieux : les Regnauld de La Soudière, vieille noblesse d’épée depuis le 12ème siècle, originaire de Charente. Paul de La Soudière achète la maison en 1895, pour s’y installer avec son épouse et ses deux premiers enfants. Six autres naissent dans la maison au cours des années suivantes.
Le fils, André , devenu médecin et très investi au service de l’Eglise comme membre de la Conférence Saint-Vincent de Paul, est mobilisé en 1914. Il meurt à 25 ans devant Verdun en 1916 mais son corps n’est jamais retrouvé. Son nom figure aujourd’hui sur le monument aux morts du cimetière communal, ainsi que sur les plaques apposés dans l’église Saint-Léonard en hommage aux poilus de notre commune. La famille continue à vivre dans cette maison pendant plusieurs années après la guerre. Le patriarche Paul y meurt le 4 juin 1928.
En 1940, la communauté des Sœurs de Saint-Vincent de Paul, installée à L’Haÿ depuis 1864, achète la maison pour une somme très modique. Elle y aménage une école d’apprentissage pour jeunes filles, active durant toute la Seconde Guerre mondiale. Mais à la Libération, les religieuses propriétaires de deux autres maisons (Maison Saint-Vincent, rue des Tournelles et Maison Sainte-Geneviève, rue A. Briand) ont du mal à entretenir l’ensemble des bâtiments.
En 1947, la communauté de sœurs est heureuse de pouvoir vendre la maison « La Source » aux premiers religieux bénédictins, tout juste arrivés à L’Haÿ et qui prennent en charge la paroisse Saint-Léonard avec Jean de Féligonde et Hadelin Van Erck. L’ancien et petit presbytère situé derrière l’église, quant à lui, est proposé à l’abbé Popot, aumônier de la prison de Fresnes, qui y séjourne bien volontiers. Les moines, eux, trop à l’étroit dans le Château Rouge voisin, mis temporairement à leur disposition par la famille Toisoul, trouvent dans la Maison un espace suffisamment vaste et fonctionnel pour y créer une véritable communauté monastique.
Dès lors, l’on ne parle plus de « La Source » mais du « Moutier ».
Les moines noirs occupent les lieux jusqu’en 1990, y organisent des kermesses dans le jardin, aménagent des locaux pour les scouts et font de ce lieu un pôle dynamique de la ville.
En 1990, les derniers moines partent dans l’Essonne, tandis que le clergé séculier prend en main la paroisse et transforme les lieux en presbytère. Le nom de Moutier demeure.
En 2000, une chapelle moderne est construite et annexée au bâtiment du 17ème siècle. Elle est décorée de vitraux réalisés par une famille de grands maîtres-verriers l’haÿssiens, les Guevel.
L’ancienne maison du siècle de Louis XIV, qui accueille dans ses locaux paroissiaux nombre de personnes de tous horizons, demeure la plus ancienne maison de L’Haÿ-les-Roses. Elle fait partie de notre patrimoine local. À ce titre, « Le Moutier » mérite bien que les paroissiens connaissent son histoire, comme celle de ses habitants qui l’ont fait vivre pendant plusieurs siècles.
Sophie H.
Historienne, membre de l’EAP de la paroisse Saint-Léonard.