Qui, parmi vous, connaît l’abbé Jean POPOT ? Pourtant, originaire de la région parisienne, cet homme d’Eglise a marqué l’histoire de notre ville de L’Haÿ-les-Roses, ainsi que celle, voisine, de Fresnes. En effet, il fut l’aumônier de la prison de Fresnes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Résidant dans l’ancien presbytère de L’Haÿ, c’est de là qu’il partait en moto à l’aube pour accompagner les nombreux condamnés à mort. De 1946 à 1956, il n’accompagna pas moins de 80 individus au peloton d’exécution ! Il nous a laissé un émouvant témoignage dans son livre publié en 1962, « J’étais aumônier à Fresnes ».
Je vous propose à présent de mieux connaître le personnage.
Jean POPOT naît le 30 avril 1905, non loin d’ici à Charenton. Très tôt, il ressent l’appel de la vocation religieuse et s’oriente vers le séminaire de Saint-Sulpice à Paris. Il y suit une formation religieuse solide, avant d’être ordonné prêtre le 29 juin 1931. Il est alors nommé vicaire de la paroisse Saint-Jean Baptiste du Perreux, où il exerce ses fonctions jusqu’en 1934. Puis il est nommé vicaire à Notre-Dame de la Gare dans le 13ème arrondissement de Paris (1934-39). Il y découvre de près l’ampleur de la déchristianisation ouvrière et les difficultés d’une catégorie sociale touchée de plein fouet par la grande crise des années 1930. Cette expérience ne le laisse pas insensible et renforce son sens social et humain.
Survient la Seconde Guerre mondiale. L’abbé Popot, âgé de 34 ans, est mobilisé en 1939. Il devient agent de liaison et aumônier militaire. Mais en 1940, il est fait prisonnier. Malade et épuisé, il doit être rapatrié en France en 1943 et hospitalisé à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris. Ainsi se termine pour lui la guerre. Quelques dizaines d’années plus tard, il publie un ouvrage sur cette expérience, intitulé « Mes 800 jours à l’hôpital » (1974).
Une fois rétabli, l’abbé Popot veut reprendre du « service ». Son expérience d’aumônier militaire le conduit tout naturellement à intégrer l’aumônerie pénitentiaire. En mai 1946, il est nommé par le cardinal Suhard, archevêque de Paris, Premier aumônier de la prison de Fresnes. Pour lui, qui a l’expérience concrète de la souffrance partagée tout à tour avec les ouvriers, les prisonniers de guerre et les malades, la tâche confiée lui est à la fois rude rude et familière. Il s’y plonge avec toute l’énergie qui est la sienne et le courage qu’il doit communiquer aux prisonniers politiques, nombreux à la Libération. La mission n’est guère facile car la plupart sont des collaborateurs du régime de Pétain, vilipendés par l’opinion publique. Mais l’homme d’Eglise se défend de faire de la politique et se doit d’être accueillant à chacun. De plus, les fonctions sont lourdes « dans cette ville-prison surpeuplée qu’était Fresnes au début de 1946 », comme il l’écrit lui-même.
Au moment de sa nomination, l’abbé Popot est prêtre au service de la paroisse Saint-Honoré d’Eylau de Paris, la plus riche de la capitale. Il réside dans un petit studio du 13ème arrondissement. Mais il ne peut y demeurer bien longtemps, d’abord pour des raisons pratiques : la répétition des déplacements jusqu’à la prison de Fresnes. L’homme évoque aussi des questions morales et religieuses : il se doit d’être au plus près de ses fidèles, ses « habitants de l’enfer » comme il les appelle avec émotion. C’est pourquoi dès sa nomination officiellement confirmée, l’abbé Popot cherche un logement simple et à proximité de la prison. Il va le trouver à L’Haÿ, juste derrière l’église Saint-Léonard. Lui-même nous le raconte.
« Je rapportai encore le soir la vision de ce enfer dans mon quiet univers parisien. Ce contraste devait vite se révéler difficile à supporter. Il me séparait à la fois de mes prisonniers et de mes anciens paroissiens de Saint-Honoré d’Eylau qui d’ailleurs m’avaient déjà fait de touchants adieux. Ma présence en plein Paris me rendait aussi trop facile à atteindre. Par les engagement que je prenais en tant qu’aumônier, certains ‟services”, cacher des figitifs par exemple, m’étaient impossible à rendre, même si ces fugitifs me paraissaient innocents.
Je trouvai enfin un local libre à L’Haÿ-les-Roses, où un groupe de Bénédictins reprenaient en main la paroisse. Trop petit pour eux, le presbytère me convenait, mais il était tellement crasseux que je n’eus aucun scrupule à y installer ma moto dans le couloir d’entrée en me servant comme rampe d’accès d’une planche jetée sur les marches du perron. Au premier étage, je disposais de trois grandes pièces et d’une cuisine, tout juste convenables et fort difficiles à chauffer. Les fenêtres donnaient sur la petite place de l’église, encore villageoise d’aspect. Comme seul confort, les bains-douches de la ville qui faisaient suite à la bâtisse. Unique agrément : un cadre de verdure…. J’en appréciais le calme, sauf la nuit, où les rats circulaient avec trop d’empressement. Dans mon nouveau gîte, n’étais-je pas enfin près de mes habitants de l’enfer ? »
Le presbytère aujourd’hui n’existe plus, détruit lors de la consruction de la nouvelle église au début des années 1970. Certains anciens de notre paroisse s’en souviennent peut-être… En tout cas, il est vrai que la petite communauté bénédictine, rassemblée autour du père Jean de Féligonde et du père Hadelin Van Erck, décide de s’installer dans la maison « La Source », bientôt appelée « Le Moutier ». Les locaux vétustes du presbytère derrière l’église sont libres et conviennent à l’abbé Popot, peu soucieux de luxe !
Installé dans le vieux presbytère désaffecté de L’Haÿ, l’abbé Popot peut se consacrer totalement à sa difficile mission. Difficile en effet car la prison de Fresnes est au maximum de ses capacités d’accueil : 4 600 détenus à la Libération pour seulement 2 000 places ! Jusqu’en 1951, elle est la prison « politique » par excellence, remplacée ensuite par La Santé. Et les tribunaux de la Libération ne lésinent pas sur les condamnations à mort ! A chaque fois, l’abbé Popot est sollicité pour accompagner les condamnés jusqu’à leur ultime demeure. L’épreuve est dure, même pour l’aumônier pénitentiaire qu’il est…
« A minuit, après une légère collation, raconte-t-il dans son livre, j’essayais de dormir quelques heures, mais les visages se présentaient avec une telle intensité que bien souvent dès trois heures, je décidais de prendre une douche froide pour contrôler davantage mes nerfs. Je disais ensuite mon bréviaire. Quelques minutes avant cinq heures, je reprenais ma grosse moto. L’hiver, c’était atroce, quand les nerfs font mal, le froid s’empare de tout votre être. J’arrivais au bas de la côte de L’Haÿ presque inconscient pour prendre cette avenue qui, à cette époque, était sinistre ; pas d’éclairage, la Bièvre dégageant une odeur infecte et inondant les plaines d’alors. L’été la roseraie dégageait un tel parfum que je goûtais là mon premier moment de détente depuis la veille. Ironie du sort, c’est par l’avenue de la Liberté que j’atteignais la grande grille d’entrée. Les abords de la prison étaient déjà gardés, les voitures radio de la police à leur place. A part la présence de ces hommes, on ne remarquait rien d’anormal. Le directeur m’accueillait avec quelques-uns des membres de l’Administration dans son bureau. C’est seulement à cet instant que j’apprenais le ou les noms des hommes qui devaient mourir. »
Ce témoignage de l’abbé Popot est terriblement émouvant… Et pour qui connaît les lieux, les mots sont d’autant plus durs et réalistes qu’ils contrastent avec le paysage aujourd’hui serein du quartier. C’est ainsi. C’était un autre temps, une autre page de notre histoire locale.
L’abbé Popot exerce ses fonctions d’aumônier pénitentiaire au-delà de la Libération, jusqu’en 1956. Mais il abandonne son logement de L’Haÿ en 1952 car nommé curé de l’église Saint-Eloi de Fresnes. Pendant quelques années, il exerce là-bas ses doubles fonctions de pasteur, au service de ses paroissiens et de ses « habitants de l’enfer ». L’abbé demeure à Fresnes jusqu’en 1961 puis il est nommé curé coadjuteur de l’église de La Madeleine à Paris. C’est dans cette paroisse qu’il achève son ministère. A la fin de sa vie, il bénéficie de plusieurs distinctions : chapelain d’honneur de Notre-Dame, chanoine honoraire et Chevalier de la Légion d’Honneur. Il se consacre à l’écriture de son livre « J’étais aumônier à Fresnes », qu’il nous a laissé en héritage… Héritage de son passage à L’Haÿ et Fresnes. A découvrir avec intérêt et émotion.
Sophie HASQUENOPH.